Un cortège florisitique d’exception
Les rives de l’estuaire d’eau douce à saumâtre du Saint-Laurent, entre Deschambault et Saint-Jean-Port-Joli, ont la particularité d’abriter un cortège de plantes adaptées aux marées d’eau douce à saumâtre. Ces plantes sont endémiques à la région de Québec ou aux grands estuaires du nord-est de l’Amérique.
Doté d’une diversité floristique remarquable, le littoral de l’estuaire d’eau douce à saumâtre du Saint-Laurent abrite 17 espèces menacées ou vulnérables. Parmi celles-ci, quatre espèces sont menacées au Québec : la gentiane de Victorin (Gentianopsis virgata subsp. victorinii (Fernald) Lammers), la cicutaire de Victorin (Cicuta maculata var. victorinii (Fernald) B. Boivin), la vergerette de Provancher (Erigeron philadelphicus var. provancheri (Victorin & J. Rousseau) et l’ériocaulon de Parker (Eriocaulon parkeri B.L. Robinson). Les deux premières sont endémiques à l’estuaire du Saint-Laurent et sont également inscrites sur la liste des espèces en péril au Canada.
Les marées: un véritable défi d’adaptation pour les espèces du littoral !
C’est dans la zone intertidale que les plus grandes variations des conditions hydrologiques, de température et de luminosité sont observées. À marée haute, les organismes de la zone intertidale baignent dans l’eau alors qu’à marées basses, ils sont exposés à l’air, à la chaleur ou au froid de même qu’aux vents desséchants. Ils doivent aussi résister aux vagues et, en hiver, au frottement des glaces. Seules des organismes parfaitement adaptés peuvent prospérer dans de telles conditions.
Les subdivisions du littoral
La durée d’immersion plus ou moins longue par les marées journalières détermine la composition et la succession des communautés végétales. Ainsi, du rivage vers le large, on observe une succession d’habitats différents, soit les marécages arborescent et arbustif et le marais intertidal. La diversité des habitats permet à un grand nombre d’espèces d’y trouver des conditions favorables.
La durée moyenne d’inondation permet de subdiviser le littoral en trois zones : le littoral inférieur, le littoral moyen et le littoral supérieur.
Le littoral supérieur, situé au-delà de la limite supérieure des marées moyennes et donc presque toujours exondé, est souvent occupé par des herbaçaies et des arbustaies qui comptent quelques 140 espèces végétales. Parmi celles-ci, deux sont endémiques (géographiquement restreintes) à l’estuaire d’eau douce à saumâtre du Saint-Laurent et désignées menacées : la cicutaire de Victorin (Cicuta maculata var. victorinii) et la gentiane de Victorin (Gentianopsis virgata subsp. victorinii). On y trouve également d’autres plantes d’intérêt dont la physostégie granuleuse (Physostegia virginiana var. granulosa) et le lycope rude (Lycopus asper) qui sont susceptibles d’être désignés menacés ou vulnérables.
Le littoral inférieur correspond à la partie du rivage qui est presque toujours inondée. Celle-ci est généralement pauvre en végétation puisque peu de plantes tolèrent ces conditions à l’exception de quelques espèces aquatiques comme la zannichellie palustre (Zannichellia palustris). On n’y rencontre aucune espèce en situation précaire.
Entre ces deux zones, se situe le littoral moyen qui peut s’étendre sur plusieurs centaines de mètres de largeur en fonction de la pente du rivage. Inondée deux fois par jour lors des marées hautes, cette zone est colonisée par plusieurs espèces végétales qui forment le marais intertidal. Le scirpe aigu (Schoenoplectus pungens) y est l’espèce dominante. D’autres espèces comme la zizanie naine (Zizania aquatica var. brevis), l’épilobe à graines nues (Epilobium ciliatum var. ecomosum), la lindernie estuarienne (Lindernia dubia var. inundata), la gratiole du Saint-Laurent (Gratiola neglecta var. glaberrima), l’isoète de Tuckerman (Isoetes tuckermanii), l’ériocaulon de Parker (Eriocaulon parkeri), les scirpes de Smith et de Torrey (Schoenoplectus smithii et S. torreyi), le bident d’Eaton (Bidens eatoni), l’élatine d’Amérique (Elatine americana), les éléocharides olivacée et des estuaires (Eleocharis olivacea et E. aestuum) et le jonc à têtes courtes (Juncus brachycephalus) accompagnent le scirpe aigu. Certaines de ces espèces ont été désignées menacées ou vulnérables.
Principales menaces à l’intégrité de l’habitat
Il existe un certain nombre de menaces, réelles ou potentielles, qui pèsent sur les espèces riveraines de l’estuaire d’eau douce à saumâtre du Saint-Laurent. La problématique des espèces floristiques diffère sensiblement de celle de la faune. En effet, en raison de son immobilité, la flore est caractérisée par une dépendance totale à l’égard de son habitat. Ainsi, la perturbation ou la destruction des habitats, qu’elle soit d’origine anthropique ou naturelle, est la principale cause du déclin des espèces. Ces perturbations peuvent être générées par plusieurs types d’activité.
Remblais et déblais :
Le remblayage des rives pour la construction des résidences, des routes, des jetées, des voies ferrées ou des
marinas est responsable d’une bonne partie des pertes d’habitats en milieu riverain.
Circulation en zone intertidale:
Les plantes riveraines sont particulièrement exposées au piétinement répété et à la circulation
des véhicules motorisés. Ces activités ne font pas qu’endommager ou détruire des plantes, mais modifient également l’habitat en créant des ouvertures et des ornières dans le couvert végétal exposant le substrat à l’érosion.
Tonte et cueillette:
La tonte et la cueillette des plantes peuvent,dans certains cas, priver les individus de leur seul moyen de
reproduction (coupe de l’inflorescence).
Érosion:
L’érosion est un phénomène naturel qui modifie la dynamique sédimentaire du rivage. Elle peut être causée par des processus naturels (vagues, diminution du couvert de glace, courants) ou d’origine anthropique (sol mis à nu, batillage).
Une modification de la dynamique sédimentaire se traduit par une modification de l’habitat qui peut devenir moins propice au maintien de la végétation naturelle.
Modification de la salinité et du niveau d’eau:
la répartition des populations de plusieurs espèces en situation précaire est régie par certaines caractéristiques des eaux du Saint-Laurent.
Ces espèces sont donc susceptibles d’être affectées par toute modification qui pourrait survenir telle l’élévation du niveau des eaux en raison des changements climatiques, un changement dans la salinité de l’eau ou encore la régularisation des eaux des Grands Lacs.
Espèces exotiques envahissantes (EEE):
Certaines EEE (telles que la renouée du Japon ou le roseau commun) peuvent croitre dans le même habitat que les espèces menacées mentionnées précédemment. Dès qu’une EEE est établie dans un écosystème favorable, il devient pratiquement impossible de la déloger et il très coûteux de la contrôler. À la longue, les EEE prennent la place des espèces indigènes provoquant un déclin ou l’élimination des espèces indigènes.
Protection des espèces floristiques
Les principaux moyens:
- Lois et règlements
- Conservation légale ou volontaire des habitats
- Amélioration de la qualité des habitats et réduction des menaces
- Acquisition de connaissances
- Éducation et sensibilisation
- Planification à l’échelle du territoire
La Loi sur les espèces en péril (LEP) a pour principal objectif d’empêcher la disparition des espèces indigènes, des sous-espèces et des populations distinctes du Canada. Elle comprend des mécanismes prévoyant le rétablissement des espèces menacées ou en voie de disparition et favorisant la gestion des autres espèces pour empêcher qu’elles ne deviennent des espèces en péril.
Lorsqu’une espèce est inscrite à l’annexe 1 de la LEP, elle bénéficie des mesures de protection qui y sont prévues et du processus de préparation obligatoire d’un programme de rétablissement ou d’un plan de gestion.
Programme de rétablissement: la LEP exige que l’on prépare pour chaque espèce menacée ou en voie de disparition un programme de rétablissement qui indique ce qu’il faut faire pour arrêter et même renverser le déclin des populations. Chaque programme de rétablissement fixe des buts et des objectifs, définit autant que possible l’habitat essentiel de l’espèce et décrit les travaux de recherche et de gestion nécessaires. Ce programme est préparé en consultation et en collaboration avec le ou les gouvernements provinciaux ou territoriaux en cause, le conseil de gestion, les organisations autochtones et les autres acteurs intéressés. Un programme de rétablissement peut s’appliquer à plusieurs espèces situées dans la même région ou écosystème, ou soumises aux mêmes menaces.
Toutes les espèces floristiques ou fauniques sont importantes, que ce soit pour leur valeur écologique, scientifique, alimentaire, économique, médicinale, culturelle ou sociale. Avec la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables, le gouvernement québécois s’est engagé à garantir la sauvegarde de l’ensemble de la diversité génétique du Québec.
Une espèce est dite menacée lorsque sa disparition est appréhendée. Elle est dite vulnérable lorsque sa survie est précaire même si sa disparition n’est pas appréhendée. Pour chaque espèce floristique légalement protégée au Québec, un plan de conservation doit être élaboré.